Surendettement des coemprunteurs solidaires : procédure et enjeux juridiques

La déclaration de surendettement pour des coemprunteurs solidaires soulève des questions juridiques complexes. Cette situation, de plus en plus fréquente, implique des conjoints ou partenaires ayant contracté ensemble des dettes qu’ils ne peuvent plus rembourser. La procédure de surendettement, encadrée par le Code de la consommation, offre une solution pour restructurer leurs dettes. Cependant, le statut de coemprunteur solidaire ajoute une dimension particulière, avec des conséquences spécifiques sur le déroulement de la procédure et les droits des créanciers. Examinons les aspects juridiques et pratiques de cette démarche délicate.

Le cadre légal du surendettement pour les coemprunteurs solidaires

Le surendettement des particuliers est régi par les articles L711-1 et suivants du Code de la consommation. Pour les coemprunteurs solidaires, la situation est encadrée par des dispositions spécifiques. La solidarité entre coemprunteurs, définie à l’article 1310 du Code civil, implique que chacun est tenu pour le tout envers le créancier.

Dans le contexte du surendettement, cela signifie que même si un seul des coemprunteurs dépose un dossier, la Commission de surendettement doit prendre en compte l’ensemble des dettes solidaires. L’article L711-1 du Code de la consommation précise que la situation de surendettement est caractérisée par l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir.

Pour les coemprunteurs solidaires, cette appréciation se fait au regard de l’endettement global du ménage. La jurisprudence a confirmé cette approche, notamment dans un arrêt de la Cour de cassation du 2 juillet 2014 (Cass. civ. 2e, 2 juillet 2014, n° 13-15.994).

Les textes prévoient également des dispositions particulières pour le traitement des dossiers de surendettement impliquant des coemprunteurs solidaires. L’article L712-2 du Code de la consommation stipule que lorsque plusieurs débiteurs sont coobligés ou solidairement tenus au paiement d’une même dette, une procédure devant la commission de surendettement peut être engagée devant la commission compétente pour le débiteur principal.

Conditions d’éligibilité spécifiques aux coemprunteurs

Pour être éligibles à la procédure de surendettement, les coemprunteurs solidaires doivent remplir certaines conditions :

  • Être des personnes physiques de bonne foi
  • Ne pas être en situation de surendettement du fait de dettes professionnelles
  • Résider en France
  • Ne pas faire l’objet d’une procédure de rétablissement personnel en cours

La bonne foi des débiteurs est présumée, mais peut être remise en cause si des éléments montrent que les coemprunteurs ont sciemment aggravé leur situation d’endettement.

Procédure de déclaration pour les coemprunteurs solidaires

La déclaration de surendettement pour des coemprunteurs solidaires suit un processus spécifique, tenant compte de leur situation particulière. La première étape consiste à déposer un dossier auprès de la Commission de surendettement du département de résidence.

Contrairement à une idée reçue, il n’est pas obligatoire que les deux coemprunteurs déposent un dossier conjoint. Un seul des coemprunteurs peut effectuer la démarche. Cependant, il est fortement recommandé que les deux parties soient impliquées dans le processus, car les décisions prises auront un impact sur les deux débiteurs.

Le dossier de surendettement doit contenir :

  • L’état civil complet des deux coemprunteurs
  • Un état détaillé des revenus et charges du ménage
  • Un inventaire des dettes, en précisant celles qui sont solidaires
  • La liste des biens possédés
  • Une déclaration sur l’honneur de la sincérité des informations fournies

Une fois le dossier déposé, la Commission dispose d’un délai de 3 mois pour examiner sa recevabilité. Si le dossier est jugé recevable, plusieurs effets juridiques se produisent :

La suspension automatique des procédures d’exécution en cours contre les biens des débiteurs, à l’exception de celles visant le paiement des dettes alimentaires. Cette suspension s’applique pour une durée maximale d’un an, renouvelable une fois.

L’interdiction pour les débiteurs de faire tout acte qui aggraverait leur insolvabilité, comme contracter de nouveaux emprunts ou vendre des biens sans l’accord de la Commission.

La Commission va ensuite élaborer un plan de redressement, qui peut inclure des mesures telles que le rééchelonnement des dettes, la réduction ou la suppression des taux d’intérêt, voire l’effacement partiel des dettes.

Particularités pour les coemprunteurs mariés ou pacsés

Pour les coemprunteurs mariés ou pacsés, la situation est encore plus complexe. Le principe de solidarité s’applique non seulement aux dettes contractées conjointement, mais aussi à certaines dettes contractées par un seul des époux pour les besoins de la vie courante, conformément à l’article 220 du Code civil.

Dans ce cas, la Commission de surendettement doit prendre en compte l’ensemble des dettes du ménage, y compris celles contractées individuellement par chaque époux. Cette approche globale vise à assurer un traitement équitable de la situation financière du couple.

Effets de la procédure sur les coemprunteurs et les créanciers

La déclaration de surendettement pour des coemprunteurs solidaires a des répercussions significatives tant pour les débiteurs que pour leurs créanciers. Pour les coemprunteurs, les effets sont multiples :

Protection contre les poursuites : Dès que le dossier est déclaré recevable, les coemprunteurs bénéficient d’une protection contre les poursuites des créanciers. Cette protection s’étend à l’ensemble des dettes, y compris celles contractées solidairement.

Gel des intérêts : Les intérêts des dettes cessent généralement de courir à partir de la date de recevabilité du dossier. Cette mesure vise à empêcher l’aggravation de la situation financière des débiteurs pendant la procédure.

Inscription au FICP : Les coemprunteurs sont inscrits au Fichier national des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP) pour une durée pouvant aller jusqu’à 7 ans. Cette inscription peut compliquer l’obtention de nouveaux crédits.

Pour les créanciers, les conséquences sont également importantes :

Suspension des poursuites : Les créanciers ne peuvent plus engager ou poursuivre des actions en recouvrement contre les coemprunteurs pendant la durée de la procédure.

Obligation de déclarer leurs créances : Les créanciers doivent déclarer leurs créances auprès de la Commission de surendettement dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la recevabilité du dossier.

Risque de rééchelonnement ou d’effacement partiel des dettes : Dans le cadre du plan de redressement, les créanciers peuvent se voir imposer un rééchelonnement des dettes, une réduction des taux d’intérêt, voire un effacement partiel des créances.

La question de la solidarité face aux mesures de la Commission

Un point juridique complexe concerne le maintien ou non de la solidarité entre coemprunteurs après les mesures prises par la Commission de surendettement. La jurisprudence a apporté des éclaircissements sur ce point :

Dans un arrêt du 27 février 2014 (Cass. 2e civ., 27 février 2014, n° 13-10.891), la Cour de cassation a jugé que les mesures de traitement du surendettement, y compris l’effacement partiel des dettes, s’appliquent à l’ensemble de la dette solidaire et bénéficient donc aux deux coemprunteurs, même si un seul a déposé un dossier.

Cette décision a des implications majeures pour les créanciers, qui ne peuvent plus se retourner contre le coemprunteur n’ayant pas déposé de dossier pour réclamer la totalité de la dette initiale.

Stratégies de négociation et de restructuration des dettes

Face à une situation de surendettement impliquant des coemprunteurs solidaires, plusieurs stratégies de négociation et de restructuration des dettes peuvent être envisagées. L’objectif est de trouver une solution viable permettant aux débiteurs de sortir de l’impasse financière tout en préservant au mieux les intérêts des créanciers.

Négociation amiable préalable : Avant même de déposer un dossier de surendettement, les coemprunteurs peuvent tenter une négociation amiable avec leurs créanciers. Cette approche peut aboutir à un rééchelonnement des dettes ou à une révision des taux d’intérêt sans passer par la procédure officielle.

Plan conventionnel de redressement : Si le dossier est jugé recevable, la Commission de surendettement va d’abord tenter d’élaborer un plan conventionnel de redressement. Ce plan, négocié entre les débiteurs et les créanciers, peut inclure :

  • Un rééchelonnement des dettes sur une durée pouvant aller jusqu’à 7 ans
  • Une réduction des taux d’intérêt
  • Un gel temporaire des remboursements
  • Dans certains cas, un effacement partiel des dettes

Mesures imposées ou recommandées : En cas d’échec du plan conventionnel, la Commission peut imposer ou recommander des mesures, telles que :

  • Un moratoire sur les dettes (suspension des remboursements pendant 2 ans maximum)
  • Un effacement partiel des créances
  • Une combinaison de ces mesures

Dans le cas des coemprunteurs solidaires, ces stratégies doivent prendre en compte la situation financière globale du ménage. Il est crucial que les deux coemprunteurs soient impliqués dans le processus de négociation, même si un seul a déposé le dossier.

Prise en compte des capacités de remboursement de chaque coemprunteur

La Commission de surendettement doit évaluer les capacités de remboursement de chaque coemprunteur individuellement. Cette évaluation tient compte :

  • Des revenus de chaque coemprunteur
  • De leurs charges respectives
  • De leur situation patrimoniale

Cette analyse détaillée permet d’élaborer un plan de redressement équilibré, qui répartit équitablement l’effort de remboursement entre les coemprunteurs en fonction de leurs moyens respectifs.

Enjeux et défis spécifiques aux coemprunteurs solidaires

La situation de surendettement pour des coemprunteurs solidaires présente des enjeux et des défis particuliers, tant sur le plan juridique que pratique. Ces spécificités nécessitent une attention particulière de la part des débiteurs, des créanciers et des instances chargées du traitement du surendettement.

Complexité de l’évaluation financière : L’évaluation de la situation financière des coemprunteurs solidaires est plus complexe que celle d’un débiteur unique. Elle doit prendre en compte non seulement les dettes contractées conjointement, mais aussi les dettes individuelles de chaque coemprunteur, ainsi que leurs revenus et charges respectifs.

Risque de divergence d’intérêts : Les coemprunteurs peuvent avoir des intérêts divergents dans le traitement de leur surendettement. Par exemple, l’un peut souhaiter privilégier le remboursement rapide des dettes, tandis que l’autre pourrait préférer un étalement plus long pour préserver sa capacité financière à court terme.

Impact sur la vie personnelle : La procédure de surendettement peut avoir des répercussions importantes sur la vie personnelle des coemprunteurs, notamment en cas de séparation ou de divorce. La répartition des dettes et des responsabilités peut devenir un sujet de conflit.

Effets sur les garants : Dans certains cas, les dettes solidaires peuvent être garanties par des tiers. La procédure de surendettement peut avoir des conséquences sur ces garants, qui doivent être prises en compte dans le traitement du dossier.

Cas particulier des couples en instance de divorce

Pour les couples mariés en instance de divorce, la situation est particulièrement délicate. La procédure de surendettement doit s’articuler avec la procédure de divorce, ce qui soulève plusieurs questions :

  • Comment répartir les dettes entre les ex-époux ?
  • Quel impact aura la liquidation du régime matrimonial sur le traitement du surendettement ?
  • Comment gérer les dettes contractées pendant la procédure de divorce ?

Dans ces situations, une coordination étroite entre le juge aux affaires familiales et la Commission de surendettement est nécessaire pour assurer un traitement cohérent et équitable de la situation financière du couple.

Perspectives d’évolution du cadre juridique

Le traitement du surendettement des coemprunteurs solidaires est un domaine du droit en constante évolution. Les législateurs et les tribunaux s’efforcent d’adapter le cadre juridique aux réalités économiques et sociales changeantes. Plusieurs pistes d’évolution sont actuellement en discussion ou pourraient être envisagées à l’avenir.

Renforcement de la protection des coemprunteurs : Une tendance se dessine vers un renforcement de la protection des coemprunteurs, notamment en cas de séparation ou de divorce. Des propositions visent à faciliter la désolidarisation des dettes dans certaines circonstances, pour éviter qu’un ex-conjoint ne reste indéfiniment lié à des dettes contractées pendant la vie commune.

Harmonisation des procédures : Il est question d’harmoniser davantage les procédures de surendettement et de divorce, pour assurer une meilleure coordination entre les décisions de la Commission de surendettement et celles du juge aux affaires familiales.

Adaptation aux nouvelles formes d’endettement : Avec l’émergence de nouvelles formes de crédit (crédit renouvelable, prêts entre particuliers, etc.), le cadre juridique pourrait évoluer pour mieux prendre en compte ces réalités dans le traitement du surendettement des coemprunteurs.

Renforcement de la prévention : Des mesures visant à renforcer la prévention du surendettement chez les coemprunteurs pourraient être mises en place, comme l’obligation d’une information renforcée sur les risques de l’endettement solidaire lors de la souscription de crédits.

Vers une approche plus individualisée ?

Une réflexion est en cours sur la possibilité d’une approche plus individualisée du traitement du surendettement pour les coemprunteurs solidaires. Cette approche viserait à :

  • Évaluer plus finement la situation et les responsabilités de chaque coemprunteur
  • Permettre des mesures de redressement adaptées à la situation spécifique de chacun
  • Faciliter la sortie du surendettement en cas de séparation des coemprunteurs

Ces évolutions potentielles du cadre juridique visent à mieux répondre aux défis posés par le surendettement des coemprunteurs solidaires, en conciliant la protection des débiteurs, les intérêts des créanciers et les réalités économiques et sociales contemporaines.